Et si le jean, cette pièce iconique du dressing international, était plus français qu’on ne le pense ? Loin des cow-boys américains, c’est un maître-tailleur cévenol qui aurait fabriqué le tout premier jean du monde. Quelques siècles plus tard, le savoir-faire français tient le haut de l’affiche. Plongée dans les coulisses de ces entreprises qui réinventent le jean « made in France ».
Le + célèbre : Chez 1083, dans la Drôme
À Romans-sur-Isère, entre les Alpes et l’Occitanie, on a longtemps fabriqué des chaussures. Dans les années 30, la ville s’impose même à l’international sous l’impulsion de Charles Jourdan, qui chaussera pendant des décennies les plus grandes actrices de Hollywood, d’Ava Gardner à Marilyn Monroe en passant par Sophia Loren. Aujourd’hui, à Romans-sur-Isère, on ne fabrique presque plus de chaussures. La mondialisation est passée par là… En revanche, on fabrique des jeans depuis 2013 et la naissance de la marque locale 1083. Pourquoi 1083 ? Parce que 1083 km séparent les deux villes françaises les plus éloignées, Menton (près de Nice) et Porspoder, un village au nord de Brest. Bien loin des 65 000 km parcourus en moyenne par un jean avant de se retrouver dans les rayons d’un magasin !
1083 confectionne des jeans, mais aussi des baskets très à la mode en France et des T-shirts en coton bio. Si les cotons utilisés poussent principalement en Tanzanie ou au Mali, les jeans sont teints, tissés et confectionnés en France. 1083 dispose même de sa propre machine de délavage laser : une première en France, qui permet d’économiser 95 % d’eau et 75 % d’énergie par rapport au procédé traditionnel ! La prochaine innovation de 1083 sera un jean fabriqué avec du fil Seaqual©TM, composé de bouteilles plastiques et de déchets marins recyclés. Consigné, le jean peut être renvoyé en fin de vie : il sera broyé puis retransformé en fil. En pénétrant dans les ateliers de 1083, on découvre tout le processus de fabrication, de la réception des matières premières à la démonstration de la machine de délavage. La visite se termine par la boutique pour passer à l’étape shopping !
L’historique : Chez Atelier Tuffery, dans les Cévennes
Nous voici au cœur du parc national des Cévennes, à l’entrée des gorges du Tarn, dans la petite ville de Florac. Ici passe notamment le fameux GR70, celui que l’on surnomme « le chemin de Stevenson » et que l’on découvre à cheval comme à dos d’âne. C’est à Florac que vivait le fameux maître-tailleur qui a eu l’idée, en 1892, de confectionner le premier pantalon en jean pour les ouvriers du chemin de fer, Célestin Tuffery. Tout premier fabricant de jean en France, Célestin Tuffery a su transmettre son savoir-faire à ses enfants et petits-enfants qui ont fait perdurer l’atelier familial génération après génération. Plusieurs siècles après Célestin Tuffery, c’est aujourd’hui son arrière-petit-fils, Julien Tuffery, qui tient les rênes de l’entreprise familiale.
Solidement ancré dans le 21e siècle, désormais en tête de pont des marques branchées qui font la mode française, l’Atelier Tuffery met toujours à l’honneur les matières nobles et vise une confection responsable : étiquettes en cuir, rivets en cuivre, les jeans sont conçus, découpés, cousus, assemblés et délavés en France. S’il utilise principalement du coton, l’Atelier Tuffery a à cœur de réduire son empreinte carbone en utilisant des fibres durables : c’est ainsi qu’il a créé le premier jean tissé avec de la laine française, celle des moutons Lacaune, du Causse Méjean et des Mérinos d’Arles ! Alors que le coton pousse au bout du monde et demande beaucoup d’eau, le chanvre pousse facilement dans les Cévennes : dès le 19e siècle, Célestin Tuffery initiait l’utilisation du chanvre pour créer des jeans. Pendant deux ans, son arrière-petit-fils a travaillé à la renaissance d’une filière locale, oubliée en Occitanie, et propose de nouveau des jeans en chanvre. La boucle est bouclée !
Tout l’été, de juin à septembre, l’Atelier Tuffery propose deux visites guidées et gratuites par jour : la boutique flambant neuve a été pensée pour, et jouxte les ateliers de fabrication, entièrement vitrés. Pour une immersion totale dans le monde du jean made in France !
Le + « self made man » : Chez Dao, à Nancy
Si vous passez par la Lorraine, il y a peu de chance que vous ratiez la ville de Nancy et sa merveilleuse place Stanislas. À quelques encablures de là se trouve l’atelier de Davy Dao, qui fabrique ici des jeans sous la marque Dao. Un jeune patron de 32 ans, au parcours atypique. Né cinquième dans une famille de huit enfants, Davy Dao a l’habitude d’hériter des pantalons de ses grands frères… jusqu’à ses 14 ans. Grâce à quelques petits boulots, il s’offre son tout premier jean rien qu’à lui. Malheureusement, il est un peu grand : qu’à cela ne tienne, Davy pique la machine à coudre de sa maman, le reprend à la taille, et en profite pour le customiser. Une passion est née !
À 24 ans, alors qu’il travaille comme vendeur dans une boutique de jeans, Davy Dao décide de partir à la découverte du Vietnam, le pays d’origine de ses parents. Là-bas, il découvre l’envers du décor de l’industrie du jean. Il se fait embaucher sur une chaîne de fabrication, d’où sortent la plupart des pantalons de grande marque qu’il vendait à Nancy. Son voisin de chaîne a 12 ans, et travaille 40 heures par semaine pour nourrir sa famille. Un choc pour Davy Dao. De retour à Nancy, sa décision est prise : il va lancer sa marque de jean et la confection devra en être responsable.
Quelques années plus tard, le voici installé dans un atelier de 90 m² en plein centre-ville. Sept personnes travaillent à ses côtés. Attentif à la durabilité de sa confection, Dao vient de lancer son premier jean en lin, une production bien locale puisque la France est le premier producteur mondial de lin. Si vous poussez la porte de sa boutique pour faire un peu de shopping, demandez à visiter l’atelier. S’il est là, Davy Dao vous emmènera lui-même découvrir les coulisses de ses jeans.
A propos du jean français
Depuis son atelier, le tailleur Célestin Tuffery voit affluer de toute la France des ouvriers venus construire le chemin de fer près de chez lui. Il cherche comment leur proposer un pantalon solide, apte à les accompagner sur les chantiers. C’est alors qu’il a l’idée d’utiliser un tissu bien connu du Sud de la France, qui a fait la fortune des commerçants de la ville de Nîmes : une toile « de Nîmes », tissée de laine et de soie, solide, facile à réparer, que l’on utilisait jusqu’alors pour fabriquer des chaussettes ou des draps.
Nous sommes en 1892, au cœur des Cévennes. Le premier jean est né ! De l’autre côté de l’Atlantique, on commence à tisser une solide toile semblable, mais faite de coton : c’est la naissance du denim moderne, popularisé dans le monde entier par Levi Strauss.
Aujourd’hui, le jean est partout, porté aussi bien par les ouvriers que par les chefs d’État. Symbole de la mondialisation, il est fabriqué majoritairement en Asie ou en Europe, avec du coton venu d’Asie ou d’Afrique… Et pose de graves problèmes écologiques dus aussi bien à la culture du coton (très gourmande en eau) qu’à ses nombreux voyages (une fois et demie le tour de la Terre avant de rejoindre votre placard !). Mais, en France, là où le « de Nîmes » est né il y a presque trois siècles, le savoir-faire français renaît grâce à des artisans soucieux de leur empreinte écologique. Ces derniers travaillent des matières innovantes et cherchent à relocaliser leur production, dans des ateliers que l’on peut visiter.
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Par Caroline Revol-Maurel
Journaliste passionnée de nature sauvage, de voyage et de rock, j'écris aussi bien sur les gypaètes barbus que sur Lou Reed. Souvent accompagnée de deux petites filles au sens critique bien aiguisé.